La compagnie américaine Astra Space a tenté une nouvelle fois l’orbite depuis Cap Canaveral ce jeudi 10 février, sans succès. La fusée Rocket-3 du vol LV0008 a décollé avec succès avec à bord quatre cubesats de la mission ELaNa-41 de la NASA. Mais l’échec s’est produit lors de la séparation des étages. C’était la sixième tentative pour atteindre l’orbite. Les détails ci-dessous.
Un vol crucial pour la Rocket 3
Le vol LV0008 était le premier vol de l’histoire d’Astra avec une vraie charge utile à bord. Héritière des versions 1 et 2, la Rocket 3 avait déjà réalisé plusieurs vols auparavant depuis l’Ile de Kodiak, en Alaska. Seul le dernier fût un succès. La fusée n’embarquait qu’une charge utile test de l’US Air Force mais qui ne se détacha pas du second étage, comme intentionnellement prévu. L’US Air Force avait avant tout acheté les deux derniers vols pour soutenir les ultimes tests de la Rocket 3.
Ce vol est aussi le premier depuis la Floride. Jusqu’à présent, la Rocket 3 n’avait décollé que depuis le Pacific Spaceport Complex, en Alaska. Pour l’anecdote, Astra n’avait obtenu sa licence pour décoller de Cap Canaveral seulement la veille ! Dès qu’elle a su quand la FAA allait lui octroyer sa licence, la compagnie a fait les préparatifs pour pouvoir décoller le lendemain.
Le vol LV0008 a toutefois essuyé deux reports. La tentative du 5 février a été annulée suite à une défaillance d’un radar. Deux jours plus tard, ce sont les vents en haute altitude qui ont décalé le vol d’une cinquantaine de minutes. Puis c’est lors de l’allumage de l’étage principal que le vol est avorté à cause d’un « souci mineur de télémétrie ».
Le vol a finalement lieu le 10 février à 21h heure de Toulouse. La Rocket 3 décolle à l’heure et traverse le ciel clair de Cap Canaveral. Les ennuis arrivent une fois que le premier étage a fini son travail. Selon la chronologie du vol, le largage des deux demi-coiffes devait se faire sept secondes avant la séparation des étages. Toutefois, les demi-coiffes sont restées attachées, ce qui a gêné la séparation et finalement entraîné l’étage supérieur dans une vrille irrécupérable. Peu de temps après, l’échec est confirmé.
C’est un nouvel échec que subit de plein fouet Astra Space avec sa Rocket 3. Comme son nom l’indique, LV0008 était le huitième vol d’une fusée d’Astra, et la sixième tentative orbitale. Tous se sont soldés par un échec, à l’exception du LV0007. Cependant, ce dernier vol n’avait par de vrai satellite passager.

Une mission sponsorisée par la NASA
Depuis plus de dix ans, la NASA offre la possibilité de faire voler des cubesats éducatifs à travers son programme Cubesat Launch Initiative (CLSI) à travers des missions ELaNa (Educational Launch of Nanosatellites). Un cubesat est un nanosatellite au format de volume standardisé, avec comme unité de volume un cube de 10cm de côté (1U).
Depuis l’émancipation du concept du cubesat, les universités ont pu voir les coûts d’accès à l’espace fortement réduits et le développement d’un petit projet satellite beaucoup plus simplifié. Depuis, elles sont nombreuses au Etats-Unis à préparer leur cubesat au vol. Plus d’une dizaine de cubesat universitaires américains par an sont mis en orbite. Plusieurs d’entre eux voient leur accès à l’espace facilité par les missions ELaNa, les frais de vols étant pris en charge par l’agence.

Aujourd’hui, la NASA a besoin de plus de lanceurs pour ses missions ELaNa. Déployer les cubesats depuis l’ISS ne suffit plus et les lanceurs lourds ne sont pas assez nombreux pour les prendre comme passagers secondaires. C’est pour cela que l’Electron de Rocket Lab ou encore la LauncherOne de Virgin Orbit ont déjà déployé chacune deux missions et que la Rocket 3 vient juste de s’ajouter à la liste.
La mission ELaNa-41 comptait quatre cubesats. Tous ont été intégrés dans des déployeurs fournis par NanoRacks :
- BAMA-1, cubesat 3U de l’Université d’Alabama. Son but est de déployer une voile solaire afin de tester son effet pour une désorbitation rapide. Une fois la voile déployée, le cubesat se frottera plus aux rares molécules d’air présentes en orbite basse, ce qui le ralentira plus efficacement jusqu’à que sa vitesse soit trop faible et qu’il se désorbite. Ce système pourrait être, à terme, utilisé pour les vaisseaux ou les cargos spatiaux.
- INCA, cubesat 3U de l’Université de l’Etat du Nouveau-Mexique. Il est équipé d’un spectromètre à neutron dérivé de l’instrument SPRINGS de la Parker Solar Probe de la NASA. Il permettra d’étudier le lien entre les neutrons venants du Soleil, et le temps et la latitude où ils s’apprêteront à pénétrer l’atmosphère terrestre. Cette étude pourra compéter les modèles de météo spatiale.
- QubeSat, cubesat 2U de l’Université de Californie (Berkeley). Il testera les effets de l’espace sur des gyroscopes quantiques, en cours de démonstration. Ces derniers devraient être beaucoup plus précis et plus résistants que les gyroscopes classiques.
- R5-S1, cubesat 3U du Johnson Space Center (NASA). Il servira essentiellement à la démonstration en conditions réelles de nouveau composants et algorithmes dédiés à l’inspection en orbite, comme on peut le faire en vol habité pour inspecter son vaisseau, ou l’ISS elle-même.

La longue route d’Astra vers la stabilité
Fondée en 2016, la start-up Astra a commencé le développement de la Rocket 3 dans le plus grand secret. Les premières version (Rocket 1 et Rocket 2) n’ont servi que de démonstrateurs pour des tests en 2018 à Kodiak. Avec une communication digne de la Chine, Astra Space n’a révélé ces tests bien longtemps après. C’étaient des échecs.
La route pour l’orbite a été longue pour la Rocket 3. En 2020, Astra Space se donne trois vols tests pour atteindre l’orbite. Le premier contenait même des passagers de la DARPA. Il faut dire que cette agence avait lancé un concours de micro-lanceurs avec un contrat de vol à gagner (DARPA Launch Challenge), et qu’Astra était la dernière start-up candidate en lice. Néanmoins, au bout de trois essais, l’orbite demeurait hors d’atteinte et le concours de la DARPA était sans vainqueur.
La version 3.3 de la Rocket 3 est censée être une version définitive. Les deux premiers vols ont été sécurisés par l’US Air Force comme vols tests (vu que personnes ne voulait vraiment monter à bord au vu des garanties). L’USAF n’y a mis que des charges utiles non-déployables. Le but était juste d’atteindre l’orbite. Le premier vol (LV0006) se solda encore par un échec mais le second fut enfin un succès.
Aujourd’hui, Astra Space compte plusieurs centaines d’employés et vaut plus de 2 milliards de dollars. Ce nouveau pilier du New Space est devenu un monstre qui promet une forte cadence de vols (le prochain vol est déjà prévu pour le 20 février. Astra est souvent mentionné comme étant une des structures qui proposent un coût de lancement parmi les plus bas. Astra promet d’être beaucoup moins cher que Rocket Lab, Virgin Orbit, et même pourquoi pas SpaceX ?

Enfin, Astra commence à se diversifier. Tout comme SpaceX et Rocket Lab, la compagnie se lance dans le développement de plateforme satellite, c’est-à-dire la structure et l’ensemble des sous-systèmes qui font vivre le satellite. Astra a même répondu à l’appel d’offre de la Federal Court of Communicaions en proposant une mégaconstellation satellites contre le projet Starlink.
2022 sera probablement l’année de la stabilisation pour Astra Space. Mais pour cela, il faudra sortir de l’angoisse de l’échec systématique. Une demi-douzaine de vol est déjà prévue pour cette année, dont trois à nouveau pour la NASA avec la mission TROPICS, prévue d’être lancée en trois fois depuis l’atoll Kwajalein. Situé dans les Iles Marshall, cet atoll est connu pour avoir hébergé les tirs de la Falcon 1 de SpaceX. C’est justement un rêve d’Astra Space, devenir un nouveau ‘’SpaceX’’ des micro-lanceurs, après avoir atteint l’orbite..

(image couverture : Astra / John Kraus)
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