Le 12 mai dernier, une Kuaizhou-1A a décollé du Jiuquan Space Center avec deux satellites à bord. C’était le premier tir Kuaizhou depuis le début du confinement à Wuhan. Petite présentation.

Le second bras spatial de la Chine
Bienvenue dans le spatial chinois, ce monde merveilleux où tout est dominé par l’Etat. Même si le gouvernement de Xi Jinping a autorisé le milieu privé de faire du spatial en 2014, l’Etat garde encore une grande maîtrise via deux géants. Le premier est la CASC (China Aerospace Science and technology Corporation). C’est le contractuel numéro 1 du gouvernement, plus gros constructeur de satellites de Chine et plus gros opérateur de lancements au monde avec ses fusées Long March.
Le second est plus petit mais quand même bien ancré dans le paysage. C’est la CASIC (China Aerospace Science & Industry Corporation), jumelle de la CASC mais quand même avec un revenu de l’ordre de 35 milliards de dollars par an. Le gros de son business est militaire, la CASIC étant le premier producteur de missiles en Chine, connu même pour avoir approvisionné la Corée du Nord en véhicules de lancement.

La CASIC est apparue très tôt en 1956, d’abord dans le paysage militaire chinois. Et naturellement, comme tout missilier, la CASIC a décidé d’adapter ses missiles balistiques à la mise en orbite. On peut dire que ce processus est une image d’Epinal du spatial en général, aucune puissance n’a échappé à cette règle ! Au début des années 2000, la CASIC se lance dans le développement de ses premières fusées avec la gamme Kaituozhe. Elle s’inspire pour cela de son missile DF-21 et de sa technologie de tir antisatellite.
La Kaituozhe-1 réalise trois tirs entre 2002 et 2005 mais aucun d’entre eux n’est un succès. Ce petit lanceur de 13.6 mètres de haut et le programme s’arrête. On note toutefois qu’une version plus lourde a vu le jour en 2017 avec la Kaituozhe-2. C’est le seul succès de la Kaituozhe connu à ce jour et on ignore si le programme est toujours actif. En fait, la CASIC a plutôt décidé de réviser sa copie après l’échec Kaituozhe. La CASIC revoit le design et crée un nouveau lanceur qui fera son premier vol en 2013 : la Kuaizhou, qu’on peut traduire littéralement comme ‘’vaisseau rapide’’.

Pouvoir mettre en orbite dans l’urgence
Être réactif, même dans l’espace. Ce sont d’abord les soviétiques qui ont mis au point des lanceurs à ‘’réponse rapide’’, c’est-à-dire des lanceurs qui soient rapides à envoyer dans l’espace. Car oui, en général, ça prend du temps ! Sans compter la production du lanceur, il y a son acheminement au centre de lancement, souvent son assemblage à finir sur place, l’intégration sous coiffe de la charge utile, de multiples tests et bien sûr la préparation du pas de tir. Bref c’est une usine à gaz de préparer chaque lancement et ça prend du temps (et par conséquent coûte de l’argent).
Justement, ces lanceurs à réponse rapide sont des solutions au cas où on n’aurait pas tout ce temps. A l’époque, les soviétiques en avaient besoin pour remplacer un satellite défaillant (très fréquent dans jusqu’au 21ème siècle) et pour des missions de reconnaissance ponctuelles dont il fallait rapporter des bobines. Les américains avaient aussi plusieurs programmes de ce genre mais je n’en suis pas du tout spécialiste. Alors c’est vrai qu’aujourd’hui ce besoin se fait moins sentir, et que par réponse rapide, le client entend surtout baisse des coûts de campagne de préparation au décollage. Aujourd’hui plusieurs projets du Newspace proposent des solutions de ce genre.

Par réponse rapide, on entend ici qu’il suffit de seulement de quelques dizaines d’heures pour procéder au lancement, contre plusieurs semaines d’habitude. Comment fait-on ? D’une part, le lanceur doit être le plus simple possible, déjà assemblé de préférence sauf la tête où on y met la charge utile.
D’autre part, le pas de tir. C’est sa préparation qui prend beaucoup de temps. Conseil numéro 1 : pour limiter les infrastructures, prenez un petit lanceur, léger, plus facile à déplacer (un semi-remorque peut suffire) et à placer sur le pas de tir (pas besoin de grues ni d’un érecteur très puissant). Conseil numéro 2 : simplifiez votre carburant. Un ergol solide est la meilleure recette. Il est plus efficace au décollage et peut être chargé avant le début de la campagne. Equipez-en tous les étages de votre lanceur sauf le dernier pour garder une meilleure précision de mise en orbite et avoir l’occasion d’allumer votre moteur à plusieurs reprises. Autre avantage, vous économisez en infrastructures de refroidissement et en plomberie car un lanceur à ergol liquide ne peut être chargé que sur place.

Conseil numéro 3 : laissez carrément tomber le pas de tir. Optez plutôt pour un TEL, un véhicule de Transport-Erection-Lancement. Bref un gros camion fait tout-en-un, et qui sert de pas de tir sur roues. L’avantage est que vous pouvez tirer de partout. Cette technologie provient des TEL utilisés pour lancer des missiles balistiques depuis tous terrains, pour par exemple dresser un bouclier anti-missile où vous le souhaitez. Et enfin, si un TEL ne vous va pas, prenez un avion ! Orbital ATK le faisait déjà avec la Pegasus et Virgin orbit vous propose des vols LauncherOne depuis, des aéroports américains, britannique, japonais ou même de Guam ! Et si ni la terre, ni le ciel ne vous convenaient, et si vous étiez soviétique, vous pouviez aussi mettre en orbite un petit satellite depuis un sous-marin nucléaire.
La Kuaizhou-1A, la référence de la réponse rapide
A partir de la Kaituozhe, du missile DF-21 et de son savoir-faire en TEL, la CASIC a mis au point la Kuaizhou, cette gamme de petits lanceurs chinois, dont la campagne de tir peut tenir en seulement 30 heures ! la Kuaizhou est simple : trois étages à ergol solide et un petit dernier étage à carburants liquides.

Les deux premiers vols en 2013 et 2014 ont été réalisé avec la version Kuaizhou-1, tirée depuis un pas de tir normal et non un TEL. Le but était probablement de tester le lanceur avant de tester son système de déploiement. Il a fallu attendre 2017 pour que la nouvelle version Kuaizhou-1A, fasse son premier vol. Cette version a depuis été tirée 9 fois depuis le Jiuquan Space Center et le Taiyuan Space Center. Pour l’instant, la Kuaizhou n’a jamais connu l’échec. Elle a par contre battu des records. Comme record, la Kuaizhou a été tirée cinq fois en seulement deux mois de novembre 2019 à janvier 2020. Dont deux tirs à seulement six heures d’écart le 7 décembre ! (depuis certes deux centre de lancement différents, mais admettons-le c’est une performance).
Pour gérer son pan spatial commercial, la CASIC a créé la société ExPace, et l’a basée à Wuhan. C’est dans cette nouvelle mégapole, capitale de la province de Hubei, que se trouvent toutes les activités d’ExPace, notamment l’usine de production des Kuaizhou. Quand le COVID-19 est apparu dans la ville, toute la région a été soumise au confinement le plus strict pendant des mois, stoppant toute activité d’ExPace. Aujourd’hui, les affaires ont repris à Wuhan et ExPace a même gagné de nouveaux clients. Le 1er avril, un tir Kuaizhou avait même été vendu aux enchères en ligne ! le lancement du 12 mai a, lui, été dédié au personnel médical de Wuhan.

Le seul bémol actuel avec la Kuaizhou-1A est sa capacité : seulement 250 kg de charge utile en orbite héliosynchrone (500km SSO). C’est peu, alors la CASIC travaille depuis plusieurs années au développement d’un nouveau modèle, la Kuaizhou-11, capable d’envoyer plus d’une tonne à 500 km SSO. Son vol inaugural n’a pas encore de date, mais pourrait avoir lieu dans un futur proche, en 2020 ou 2021. Affaire à suivre maintenant que la Kuaizhou est une fusée déconfinée !

Source principale : SpaceNews
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