Mardi 5 mai, la Chine réussit à faire décoller une Long March 5B depuis le Wenchang Space Center. Pour couronner ce tir inaugural, la LM-5B parvient à mettre en orbite un prototype de nouveau vaisseau spatial, destiné aux missions futures et même à la Lune ! Il y avait en plus dans le chargement une petite capsule expérimentale de retour d’échantillons qui pourrait être amarrée à un futur cargo spatial. Bref, avec ce vol se trouvaient tous les espoirs du vol habité chinois.

Nouvelle version du lanceur lourd
La Chine compte dans sa banque très peu de lanceurs lourds à l’instar d’Ariane 5 ou de Proton. Jusqu’en 2016, la CASC (China Aerospace Science and tech Corporation), le plus gros contractuel du spatial chinois, ne disposait comme lanceur le plus puissant que de la Long March 3B, capable de mettre en orbite géostationnaire – GTO – un satellite de seulement 5.5 T (deux fois moins qu’une Ariane 5).
En 2016, la CASC lance avec succès la Long March 5 (CZ-5), son plus gros lanceur, capable d’envoyer en GTO une charge utile de 14 tonnes, soit un des lanceurs les plus puissants de la planète. Mais le second tir en 2017 est un échec, qui conduit les ingénieurs de la CASC à refaire le design de turbopompe du moteur principal YF-77. La Long March est alors en panne, et avec elle tous les grands objectifs de conquête de l’espace par la Chine.

Après une longue attente de près de 900 jours et plusieurs retards, la Long March 5 revient enfin sur le pas de tir en décembre 2019, et son 3ème lancement est un succès. Le programme d’exploration du système solaire peut reprendre avec comme clients Tianwen-1, la première mission chinoise pour Mars qui partira en juillet, mais aussi la première mission de retour d’échantillons lunaires Chang’e 5, qui attend son ticket depuis 2017. D’autres passagers devraient avoir aussi leur ticket : Chang’e 6 (doublure de la 5) et le télescope spatial Xuntian, futur équivalent chinois d’Hubble.
La Long March 5B est la version ‘’orbite basse’’ de la CZ-5. C’est un dérivé dépourvu du second étage, offrant en contrepartie la possibilité de mettre en orbite basse une charge utile plus grosse (pouvant atteindre 25 T). Avec cette version, l’agence spatiale chinoise (CNSA), prévoit de construire sa future station spatiale, CSS-3, qui n’a pas encore de nom officiellement. Elle sera la troisième station spatiale lancée par la Chine après les Tiangong 1 & 2.

La Long March 5B mettra en orbite le module principal Tianhe (ressemblant beaucoup au module Mir de l’ancienne station soviétique éponyme), suivi de deux autres modules Wentian et Mengtian. Selon Hao Chun, directeur du China Manned Space Engineering Office, branche de la CNSA en charge du vol habité, 12 vols sont prévus pour la construction de la CSS-3, dont plusieurs missions habités et cargos dès 2021. Mais avant cela, il fallait qualifier cette nouvelle version avec un vol test. C’est aujourd’hui chose faite.

Le 5 mai 2020 à 18h00 heure locale, la Long March 5B décolle du Wenchang Space Center avec deux passagers à bord. Nombreux étaient les riverains à regarder le décollage depuis les plages avoisinantes. Trois minutes après le décollage, les boosters latéraux se sont séparés du corps principal qui a continué sa propulsion jusqu’à 488 secondes après le décollage. A ce moment-là, les charges utiles étaient en orbite.
Fun fact : le 1er étage est lui aussi resté en orbite ! Il ne restera toutefois pas longtemps car il devrait pénétrer dans notre atmosphère autour du 11 mai. Ca sera un des plus gros débris spatiaux à retomber sur Terre et, semble-t-il, sa rentrée n’est pas contrôlée. La CZ-5B est un des rares lanceurs au monde à procéder au single-stage-to-orbit, le principe d’utiliser un unique étage pour mettre en orbite un charge utile, procédé envisagé actuellement pour les lanceurs futurs du Newspace dans le cas de l’orbite basse.

Un futur vaisseau spatial
Il a beaucoup attiré l’attention, mais il n’a pas de nom officiel. Il est seulement connu sous ce diminutif : XZF-SC. C’est le diminutif de Xinyidai Zairen Feichuan – Shiyan Chuan (New-Generation Crewed Spaceship – Test Ship). Bref, c’est un prototype de nouveau vaisseau spatial habité chinois de nouvelle génération (VNG). Lancé à bord de la LM-5B, il est revenu sur Terre vendredi 8 mai après trois jours à orbiter autour de notre planète. Il était inhabité.
La Chine a déjà un vaisseau spatial, le Shenzhou. C’est un sorte de réplique du Soyouz russe, témoin d’une grande implication de la Russie dans le développement du spatial chinois. C’est lui qui a transporté les taïkonautes de 2003 à 2016. Aujourd’hui, sa capacité est limitée par rapport aux nouvelles ambitions de la CNSA et au vu des nouveaux vaisseaux spatiaux naissants ou à venir (Orion, Crew Dragon, Starliner, Oriol..). Shenzhou appartient plus au passé, le VNG est censé le remplacer.

Le VNG est un gros monstre : 8.8 m de longueur, 4.5 m de diamètre, il peut peser jusqu’à 21.6 tonnes. La CNSA a prévu deux versions :
- Une version bus : capable d’emmener six taïkonautes,
- Une version bus + cargo : capable d’emmener trois taïkonautes et 500 kg de fret.
Le VNG est censé être partiellement réutilisable. Le module de service, chargé d’assurer la propulsion du vaisseau, l’alimentation électrique et l’électronique de bord, brûlera lors de la rentrée atmosphérique. La capsule de descente, contenant les taïkonautes, devrait être utilisable jusqu’à 10 fois. Le bouclier thermique, qui sera remplacé à chaque vol, peut se déployer et se plier pour que le vaisseau puisse s’amarrer à la station.

En trois jours de voyage, le VNG a réhaussé sept fois son orbite et est notamment allé bien au-delà de l’orbite basse. Son apogée a atteint jusqu’à près de 8 000 km. Aucun vaisseau spatial n’était allé aussi loin de la Terre depuis les missions Apollo ! Le VNG est revenu sur Terre le 8 mai, sur le site de Dongfeng, en Mongolie Intérieure au nord du pays. Il a doucement touché terre à l’aide de trois parachutes et de coussins gonflables.

(crédit CASC/CGTN)
Le VNG a hébergé une dizaine d’expériences scientifiques ou de démonstration technologique, comme la première réalisation de matériau en composite renforcé en fibres par impression 3D dans l’espace. Il y avait également des graines de plusieurs céréales à bord selon la CMSA pour y voir les effets des radiations en dehors de la Ceinture de van Allen, ou encore une expérience pour tester la bonne synchronisation des horloges.

Il y avait également une petite capsule de retour d’échantillon amarrée au VNG. Elle a été larguée le 6 mai pour tester sa rentrée atmosphérique à l’aide d’un bouclier thermique gonflable. Mais elle a été annoncée comme perdue suite à une anomalie. Ce n’est pas la première fois que la Chine teste ce genre de capsule développée par la CASIC, un autre gros contractuel du spatial chinois. Cette capsule pourrait être utilisée pour rapporter des échantillons sur Terre depuis un cargo quittant la station, celui-ci n’étant pas protégé par un bouclier thermique.

Viser la Lune
Avec le succès (quasi) total de ce vol, l’astronautique chinoise peut enfin redémarrer. Les objectifs sont ambitieux : occuper de façon permanente la prochaine station spatiale CSS-3, et viser la Lune. Avec les désorbitations des stations Tiangong 1 et 2 en 2018 et 2019, la Chine a mis fin aux premiers chapitres du vol habité partant des pionniers et en restant plus sur de la démonstration que de la science elle-même.
Seulement 11 jours après le cinquantenaire du tout premier satellite chinois, le vol du VNG lance une nouvelle ère de l’astronautique chinoise avec des rêves dépassant désormais la simple présence dans des chinois et chinoises dans l’espace. Maintenant, on veut y rester. Pesant à terme 60 tonnes, la future station spatiale chinoise sera équivalente à l’ancienne station soviétique/russe Mir, avec bien sûr une techno plus élaborée.
Avec une station Mir 2.0 opérationnelle vers 2022, la Chine entend s’installer en permanence dans l’espace pour la décennie, avec roulement d’équipage et même une ouverture internationale. Lors de sa visite à Toulouse en septembre 2019, le vice-président me l’a confirmé quand je lui ai posé la question : des astronautes européens pourront tout à fait embarquer à bord de la station. Samantha Cristoforetti et Matthias Maurer sont d’ailleurs les plus probables vu qu’ils ont déjà fait des stages auprès des taïkonautes.

Le VNG est aussi l’équivalent du vaisseau américain Orion, dont un prototype a déjà fait un vol test en 2014. Le VNG pourra lui-aussi servir de vaisseau ‘’polyvalent’’ à l’instar du projet de vaisseau russe Oriol, qui pourra à la fois remplacer le Soyouz en orbite basse et envoyer des astronautes vers la Lune. La Chine elle aussi vise la Lune. Le programme Chang’e a été lancé il y a longtemps pour préparer les missions humaines in situ mais l’astronautique chinoise va elle aussi emboîter le pas.
Avec le VNG, la CNSA envisage la technique du ‘’train spatial’’ : joindre en orbite le VNG lancé par LM-5B à un lander lunaire lancé par un autre lanceur encore plus gros (la Long March 9), puis envoyer le tout vers la Lune. Autre schéma envisagé : voyage direct, comme Artemis, de l’ensemble à l’aide d’un autre gros lanceur qui n’a pas encore de nom (on sait juste qu’il sera constitué d’un corps triple de trois boosters de 5 m de diamètre chacun).
Alors que la NASA vise 2024 pour revenir sur la Lune, la CNSA est plus patiente et vise la décennie 2030. Le VNG ne devrait entrer en service qu’à partir de 2025. La CNSA continuera à utiliser les Shenzhou d’ici-là. C’est le temps qu’il faut pour au moins développer les technologies des missions lunaires, et pour que l’astronautique chinoise s’y prépare elle aussi.
Résumé de la conquête de l’espace par la Chine par Rêves d’Espace ici :

Sources principales : SpaceNews, Ars Technica, CGTN, Andrew Jones.
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