New Space français : quelle direction ?

Tandis que débute la 3ème édition des Assises du New Space, on peut se poser la question à un milliards d’euros : où va-t-on ? Plusieurs caps possibles, mais la mer est très agitée.

Soutenez Spacekiwi ! (daniel.chretien@space-kiwi.fr)

Le lancement des Assises en 2022 a montré que le New Space français est devenu une flotte à part entière. Deux ans plus tard, les Assises sont devenues incontournables, et montrent un certain gain en maturité.

Les mousses rejoignent les capitaines

Le spatial français est un des plus brouillons de la planète. L’arrivée tardive du New Space est due à un incommensurable mépris de la nouveauté dans le spatial français d’époque, et à un grave manque de vision dont les responsables sont peu à peu purgés. Aujourd’hui, débute la coexistence pacifique.

Airbus, Thales, et la famille Ariane ne sont plus seuls. Dans chaque pays européen où ils sont implantés, ils doivent vivre avec des nouveaux venus, héritiers de SpaceX, de Planet, qui ont dû – pour la plupart – se débrouiller seuls, sans subvention, ni sauvetage de la Nasa, mais avec une jeune génération d’ingénieurs comme moteur.

La réduction forcée des coûts d’accès à l’orbite a joué en faveur des nouveaux acteurs. La maturation du standard cubesat a été prédominante pour les entreprises qui avaient besoin d’un satellite précurseur bon marché. Côté lanceur, l’expérience de Rocket Lab sert de guide. Bingo : parti de rien, le New Space français est arrivé plus rapidement qu’ailleurs en Europe.

Cubesats : une grande enquête à retrouver sur Espace & Exploration

Découvrez les coulisses d’une des plus grandes révolutions du spatial, comment le cubesat a transformé le spatial français. Enquête en quatre volets. Premier volet disponible dans le n°82.

Le New Space français est parti de rien, ri et méprisé par les géants jouissant de monopoles et de dérogations pour contourner la Loi des Opérations Spatiales. Prométhée, Unseenlabs, Latitude, etc. Les premiers guerriers sont passé du Powerpoint à la grande ambition : le leadership mondial.

Terminé le cubesat, on compte les jours en attendant l’annonce d’un plateformiste proposant des satellites de plus d’une tonne, en concurrence directe avec Airbus et Thales, qui doivent déjà se battre face à SpaceX pour sauver une place à l’international.

Naviguer entre les vagues scélérates

La tempête est là. SpaceX vend des satellites stackables à la NRO. Rocket Lab vend les siens à la MDA. Des contrats pharamineux avec le Pentagone qui leur permettront non seulement de survivre au Darwinisme à venir, mais de jouer dans la même cour que Boeing, Northrop, ou Lockheed. Bis repetita imminent en Europe.

La tempête vient aussi de l’est. A l’instar de Temu et Shein qui enterrent le textile européen, ce n’est qu’une question de temps pour que des plateformes satellites chinoises low-cost viennent menacer le spatial occidental, en commençant par rafler les clientèles étrangères (Afrique, Asie du sud-est, Amérique latine). Landspace, Space Pioneer, etc. Plusieurs SpaceX Made in China sont en train d’émerger, gavés de subventions publiques. Le temps presse, il faut être suffisamment solide pour survivre à la suite.

Le New Space français est encore fragile. Son business n’est pas encore lancé et toutes les briques technologiques risquées n’ont pas encore été déverrouillées. En outre, les acteurs avancent en traînant un Etat comme un boulet de plomb.

Très difficile de batailler face au temps dans un secteur qui n’a connu que des temps longs. Face à l’agressivité de SpaceX et des acteurs chinois, les Etats européens semblent perdus dans cette nouvelle guerre économique. Depuis des années, il est demandé à la France d’avoir sa stratégie nationale. Le président Macron était bien forcé d’admettre que le New Space français existe avant de l’inclure dans tous ses voyages officiels à l’étranger.

Les agences spatiales soldent massivement des briques technologiques. Leur rôle vis-à-vis du New Space est désormais de faciliter son essor, avec des budgets insignifiants (en France, le canot de sauvetage vient de France 2030, un One-shot qui ne garantit pas vraiment de contrat durable derrière).

Faciliter l’essor du New Space, même dans les vols habités !

Sortie de crise

Le New Space français est désormais un monde qui fourmille et qui brille par sa diversité en solutions comme en aventures humaines. L’arrivée du New Space a réussi à casser une bulle très opaque. La plupart des ingénieurs de Latitude ne viennent pas du spatial et l’ISAE Supaero n’est plus la seule voie pour espérer faire des tests de mise à feu de moteur dans les îles Shetland.

Le spatial se démystifie, ce qui répond à une attente ardemment exprimée par le général Adam (à la tête du Commandement de l’Espace) lors de la première édition des Assises du New Space. Reste l’ultime défi de l’opinion publique. Les narratifs s’entrechoquent avec l’arrivée de nouvelles problématiques trop longtemps ignorées par le spatial lorsqu’il était dans sa bulle (décarbonation, féminisation, utilité publique de certaines solutions, primeur face à la crise climatique).

Le succès d’ « Une histoire de la conquête spatiale» d’Arnaud Saint Martin et Irénée Régnauld (La Fabrique) s’est immiscé jusqu’à l’Assemblée nationale. Des récits sur le spatial différents des avis partiaux de ses propres acteurs parviennent enfin aux oreilles des instances politiques européennes, en pleine écriture de lois spatiales.

C’est le pire scénario pour le New Space qui pourrait se faire couper les jambes avant même de décoller, car rares sont les politiques suffisamment aculturés aux contraintes de l’espace (les enfants en savent beaucoup plus aujourd’hui). Ce n’est pas leur faute. Ils font partie des victimes de la posture de savant qu’a tenu le spatial européen pendant des décennies, posture tuée par un épisode de « C’est pas Sorcier » sur Ariane 5 (merci Jamy).

Fin de l’Acte I

Cette troisième édition des Assises est à l’image du New Space français d’aujourd’hui, axée sur l’ouverture, l’innovation, et l’Europe. Le spatial poursuit sa réinvention. Le nouvel écosystème français a bataillé dur pour garantir son existence dans cette tectonique des plaques. Victoire, on a reformé la flotte, et de nouveaux mousses ont rejoint les nouveaux capitaines. Mais maintenant, quel est le cap ? Existence ou suprémacie ?

Crédit image canonique : Toulouse Space Team

Un avis sur « New Space français : quelle direction ? »

Laisser un commentaire