Transporter-3, premier bus spatial de 2022

Le 13 janvier à 16h25 heure de Toulouse, SpaceX fait décoller une Falcon 9 avec 105 petits satellites à bord. C’était le deuxième vol de l’année 2022 et il nous a fourni des images spectaculaires. C’était surtout le troisième vol rideshare – partagé entre plusieurs dizaines de clients – opéré par la compagnie américaine. Il est toujours très intéressant de voir qui souhaite gagner l’orbite à travers ces bus spatiaux. C’est l’occasion de découvrir de nouveaux acteurs, notamment du New Space.

Images spectaculaires et de nombreux passagers

C’était le 137ème vol Falcon 9 et déjà le second de l’année 2022. Le décollage s’est fait depuis Cap Canaveral en Floride. C’est un de ces quelques tirs à destination de l’orbite héliosynchrone – SSO – que propose SpaceX, entre deux tirs Starlink. Ce type d’orbite a l’avantage d’avoir un plan qui reste fixe par rapport au Soleil tout au long de la révolution de notre planète autour de lui. Ainsi, le satellite passe toujours au-dessus d’un même endroit sur Terre à la même heure solaire locale. Cela facilite la communication avec lui depuis la Terre. C’est aussi très avantageux pour l’observation de la Terre. SpaceX a prévu de proposer trois autres vols Transporter a destination de la SSO cette année.

Magnifique image de la Falcon 9 devant le Soleil de Cap Canaveral (SpaceX)

Comme la plupart des temps désormais, le premier étage de la Falcon 9 – B1058 – était d’occasion. Il en était d’ailleurs à son dixième vol, le tout en 20 mois, une nouvelle performance de SpaceX en termes de réutilisation car jamais un booster n’avait été réutilisé autant de fois aussi vite. C’était le dernier vol du B1058, SpaceX se limitant à 10 vols par booster.

Comme c’était un vol à destination de l’orbite héliosynchrone, la Falcon 9 a décollé vers le nord et le booster n’a pas pu se poser comme d’habitude au large de la Floride sur une barge automatique. Il s’est posé sur une landing zone du site, offrant un spectacle à couper le souffle. C’est aussi une des rares fois où SpaceX nous montrait des vues de la séparation en vol des deux étages depuis le sol, autre spectacle de danse magnifique à plusieurs dizaines de kilomètres de nous. 2min26 après le décollage, le second étage prend le relais. Près d’une heure après, la mise en orbite des premiers passagers commence.

La danse du booster B1058 avant de se poser sur sa landing zone (Richard Angle)

Il y avait 105 satellites à bord de Transporter-3, tous pesant moins de 170 kilos. La plupart étaient des cubesats. Tous les clients sont passés par des brokers pour réserver leur vol. La plupart des satellites ont été déployés à l’aide de dispositifs de ces compagnies qui interagissent, elles, avec SpaceX. Ainsi sur les 105 passagers :

  • 66 ont été pris en charge par la compagnie hollandaise Isilaunch.
  • 29 ont été pris en charge par la start-up berlinoise Exolaunch, qui avait déjà pris en charge la mise en orbite de 170 satellites en 2021.
  • Plusieurs satellites ont été pris en charge par la compagnie italienne D-Orbit, en les intégrant dans un déployeur orbital nommé ION-SCV. Une fois largué par le second étage de SpaceX, il déploiera ses passagers dans les heures et jours à venir.

Le nombre initial de passagers de Transporter-3 devait être initialement plus grand avec l’ajout des plusieurs charges utiles embarquées à bord du déployeur orbital Sherpa de la compagnie américaine Spaceflight Inc. Mais un problème de réservoir du Sherpa a dû forcer la compagnie à reporter son vol. Seul un satellite passager a pu trouver une dernière place à bord de l’ION-SCV de D-Orbit.

Disposition type des satellites d’un vol Transporter (Exolaunch)

L’armada du New Space de l’observation de la Terre

Ils comptent pour près de la moitié du nombre de passagers de Transporter-3. Les compagnies du New Space américain étaient fortement présentes. En tête du cortège : Planet, avec 44 cubesats SuperDove à bord. Fondée en 2010, la start-up Planet est devenu un géant de l’imagerie terrestre. Elle dispose de plusieurs constellations satellites dont les SkySat, qui sont d’une bonne résolution, mais aussi les cubesats Flock Dove et SuperDove.

Planet produit à la chaîne des cubesats 3U – 10cm x 10cm x 30cm – pour garnir la constellation Flock. Depuis 2014, plus de 500 unités ont été envoyées dans l’espace par tous les moyens (cargos ISS, Transporter, PSLV, Vega, Soyouz, Electron, Minotaur, Dnepr). Ceux de la génération SuperDove peuvent vivre plus longtemps et remplacent petit à petit la génération Dove.

Par leur petite taille, les Flock ne peuvent fournir une image de haute résolution mais par leur très grand nombre, ils permettent une couverture quasi-instantanée de toute la surface du globe. Ainsi, Planet est souvent la première société à fournir des images satellites d’un événement se déroulant sur Terre, ce qui est très important pour certains acteurs dans le domaine de l’information et du renseignement.

Quadpacks ISILAUNCH36
Les 17 Quadpacks d’Isilaunch utilisés pour déployer les cubesats, notamment les 44 SuperDove de Planet (Isispace)

Parmi les passagers issus de l’imagerie, il y a aussi trois compagnies de l’observation de la Terre en bande X. Cette imagerie radar (appelée Synthetic Apperture Radar – SAR), est très utile pour pouvoir observer la surface terrestre de nuit ou à travers les nuages. En tout, cinq satellites SAR étaient à bord de Transporter 3 :

  • Umbra 2 (65 kg, Umbra Lab, USA), second élément d’une constellation d’au moins 24 satellites pour imager la surface avec une précision de 25cm.
  • Capella Whitney 5 & 6 (112 kg, Capella Space, USA), nouveaux éléments d’une constellation d’une trentaine de satellites.
  • ICEYE X14 & X16 (ICEYE, Finlande), la compagnie vise à constituer une constellation de 18 satellites SAR.
Visuel d’un Capella Whitney. Le satellite SAR utilise une antenne radar déployable (Capella Space)

Comme autres passagers dans l’imagerie, il y avait aussi deux cubesats 3U STORK 1 & 2, les premiers d’une constellation d’au moins 14 éléments issus de la start-up polonaise SatRevolution SA. Ils étaient accompagnés d’un autre cubesat 2U nommé SW1FT de la même compagnie. La constellation STORK aura une résolution spatiale de 5m.

Il y avait également du voyage le cubesat HYPSO-1 de la Norwegian University of Science and Technology dédié à l’observation de la biologie des océans et au suivi des bancs d’algues. Un autre cubesat 3U d’observation se trouvait à bord : Ororatech-1, de la start-up allemande éponyme qui propose de développer une constellation dédiée au suivi des incendies.

Visuel d’un cubesat STORK (SatRevolution)

Passager parmi les plus remarqués de ce vol, le cubesat 16U ETV-A1 de la compagnie britannique Sen. Il est le premier d’une petite constellation qui vise à fournir des un flux vidéo de la Terre en Ultra Haute Définition (UHD), qui serait accessible à tous. Attendez-vous donc à voir de magnifiques images !

Enfin, un des principaux passagers était le satellite d’observation Sich 2-1 (170 kg). Développé en Ukraine par Yuzhnoye, ce satellite du programme spatial ukrainien fera de l’imagerie en visible et proche-infrarouge. Son lancement avait été initialement prévu en 2012 mais la crise géopolitique dans le pays a plusieurs fois reporté le vol.

Le satellite d’observation ukrainien Sich (Yuhznoye)

Navigation, surveillance et communication

En plus de l’imagerie terrestre, il y avait d’autres business units présentes dans le vol Transporter-3. Parmi elles, la communication. La start-up Kepler Communications ne manque jamais une occasion de voler à bord d’un vol Transporter de SpaceX. A bord de ce dernier, quatre cubesat 6U ont été déployés pour agrandir la constellation Kepler dédiée à l’internet des objets (IoT) et à la connexion machine-to-machine. Après avoir lancé trois prototypes en 2018 et en 2020 nommés d’après les personnages robotiques d’Interstellar (TARS, CASE et KIPP), Kepler s’est lancé dans le développement de la constellation d’une quinzaine d’éléments.

Parmi les autres abonnés des vols rideshare, un autre pilier du New Space américain : Spire. La compagnie développe et déploie une grande constellation de plusieurs dizaines de cubesats 3U baptisée Lemur, dédiée au traffic monitoring. Il s’agit d’une constellation qui traque les signaux AIS des navires afin d’aider à réguler le trafic maritime et éviter les collisions. Depuis 2015, Spire a envoyé dans l’espace 145 unités, via tout type de lanceur.

Kepler Communications CEO Mina Mitry - The Space Economy | Acast
Visuel du cubesat de Kepler Communications

Afin de gérer le trafic maritime plus précisément du côté de l’Afrique du Sud, trois cubesats 2U nommés MDASat étaient également à bord de Transporter-3. Ils ont été développés par le French South African Institute of Technology et le Cape Peninsula University of Technology.

Mais que ce passe-t-il si jamais un bateau décide de couper son signal AIS ? Ce cas arrive de plus en plus souvent, notamment avec les pirates. La start-up française UnseenLabs propose une constellation de cubesats 6U nommés BRO (Breizh Reconnaissance Orbiter), capable de repérer les signaux électromagnétiques des bateaux. Un cinquième cubesat BRO était à bord de Transporter-3.

Le patch de mission du déploiement du cubesat BRO-5 d’UnseenLabs.

Tous à bord !

Enfin, comme la plupart des vols rideshare, Transporter-3 comptait plusieurs cubesats à visée technologique ou universitaire :

  • Dodona, cubesat 3U initialement développé par GalacticSky, une division de la compagnie américaine Vector. Mais Vector fit faillite et GalacticSky fut récupérée par Lockheed Martin, qui se sert de Dodona pour faire de la démonstration de différents matériels.
  • LabSat, cubesat 3U de la Wroclaw University of Science and Technology (Pologne)
  • VZLUSat 2, cubesat 3U de la VZLU, un institut de recherche basé à Prague (République Tchèque)
  • DEWA-Sat-1, cubesat 3U de la Dubai Electricity and Water Authority (Emirats Arabes Unis)
  • NuX 1, cubesat 3U développé par NuSpace à Singapour. Il a pour but de faire de la démonstration technologique en IoT, notamment d’un petit moteur à effet Hall pour cubesat.
  • IRIS-A, cubesat 3U développé par la National Cheng Kung University (Taïwan) avec des buts similaires à NuX-1. Ces deux derniers cubesats ont été développés avec l’aide de la compagnie américaine de service satellite en orbite Momentus, qui a fourni les moteurs à effets Hall.
  • Gossamer, premier cubesat 1U de la constellation de la compagnie américaine Lunasonde, qui a pour but de cartographier le proche sous-sol terrestre, en relevant la répartition minéralogique.
  • Tevel 1 à 8, série de cubesats 1U de communication radio-amateure développés par des lycéens israéliens.
Plusieurs picosatellites PocketCube prêts à être envoyés dans l’espace (Alba Orbital)

C’est souvent le cas pendant ce genre de vol, plusieurs picosatellites sont de la partie, essentiellement à visée pédagogique et peu chers à envoyer. Ce sont les plus petits satellites qu’on puisse trouver dans le monde. Leur taille se mesure en centimètres et leur masse en centaines de grammes. La plupart suivent un standard de volume : 1P = 5 cm3. Ce format – PocketCube – correspond à un huitième du volume standard 1U pour les cubesats. Transporter-3 a embarqué 21 picosatellites :

  • Delfi-PQ (3P, TU Delft, Pays-Bas)
  • Unicorn 1 (2P, Alba Orbital, Royaume-Uni)
  • Unicorn 2A, 2D & 2E (3P, Alba Orbital)
  • Unicorn 2 Tartan Artibeus 1 (1P, Carnegie Mellon University & Alba Orbital, Royaume-Uni, il est le tout premier picosatellite à pouvoir fonctionner sans batterie mais uniquement avec ses minuscules panneaux solaires)
  • FossaSat 2E1 à 2E6 (2P, FossaSat, Espagne)
  • EASAT 2 & Hades (1.5P, développé par les radio-amateur de l’AMSAT en Espagne)
  • Challenger (4P, Quub, USA)
  • MDQube-Sat-1 (2P, Innova Space, Argentine)
  • PION-BR1 (1P, PION Labs, premier PocketCube développé au Brésil)
  • SATTLA 2A & 2B (2P, Ariel University, Israël)
  • Grizü-263a (1P, Zonguldak Bülent Ecevit University, premier picosatellite turque)
  • Sanosat-1 (1P), développé par ORION Space en collaboration avec des radio-amateurs. Il est le tout premier picosatellite développé au Népal !
Nepal PQ-1.jpg
Le picosatellite PocketCube SanoSat-1, tout premier picosat développé au Népal (ORION Space)

Plusieurs de ces picosats étaient initialement prévus d’être lancés il y a quelques années à l’occasion du tir inaugural de la Vector-R. C’était sans compter sur la faillite de Vector. C’est souvent un chemin de croix de trouver une place à bord d’une fusée pour lancer un satellite si petit. Si les vols rideshare peuvent en emporter beaucoup, ils demeurent néanmoins assez rares. L’émergence des micros/nano-lanceurs permettra de réduire le temps d’attente mais ça a encore un prix assez élevé. Pour les microsats, cette équation ne sera pas résolue avant des années.

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