Il est une heure du matin et onze minutes à l’heure de Toulouse. A ce moment-là, se pose sur Mars un nouveau visiteur : Zhurong. C’est un rover chinois, pour la première mission martienne de l’Empire du Milieu. La Chine enchaîne les succès dans ses débuts d’exploratrice du système solaire. Ce n’est que le début.

La Chine sur Mars avec Tianwen-1
C’est un nouveau jour pour l’Exploration spatiale chinoise. La Chine devient la troisième puissance à accomplir la prouesse de se poser sur Mars, après les Etats-Unis (Viking 1) et l’Union Soviétique (qui a juste réussi à se poser, sans garder le contact avec la Terre). C’était son deuxième essai après la tentative Yinghuo-1, perdue avec la mission russe Phobos-Grunt dont elle était passagère. Le sixième rover martien sera donc chinois avec Zhurong, dont le nom provient d’un ancien dieu du feu (pour la prononciation, voir ici).
La sonde Tianwen-1 s’était mise en orbite le 10 février 2021. Depuis son orbite passant au-dessus des pôles et faisant le tour de Mars tous les deux jours, la sonde a cartographié la zone d’atterrissage du rover, afin d’avoir plus de détails de la zone et de choisir plus précisément le site du posé. Ce dernier se trouve dans la plaine d’Utopia Planitia, dans l’hémisphère nord. Finalement le lander s’est posé 40 km à côté du point choisi, sur des dunes (coordonnées : 25.1 N ; 109.9 E).
La rentrée atmosphérique a duré près de 9 minutes. Une fois dans l’atmosphère, la capsule protégeant le lander (portant le rover) est descendue sous parachute. Elle a largué son bouclier thermique, puis le lander lui-même peu au-dessus du sol. L’atterrisseur s’est stabilisé à l’aide de rétrofusées pendant quelques temps pour éventuellement se déporter un tantinet sur le côté pour éviter un obstacle (détecté par radar). Enfin, le lander s’est posé peu après 01h CET. Le rover a dû alors rapidement déployer ses panneaux solaires, le mât panoramique, et ses roues. Le lander a lui déployé la rampe de descente. Actuellement, seul le succès du posé a été officiellement confirmé. La suite des opérations devrait suivre cet enchaînement :
- Réaliser une image panoramique du site d’atterrissage,
- Réaliser plusieurs checks de différents systèmes,
- Descente de la rampe du lander et premiers tours de roues au sol (22 mai),
- Session de photographies mutuelles du rover et du lander (27 mai),
- Premières acquisitions de données scientifiques (28 mai).

La mission au sol durera initialement 90 jours et devrait être prolongée si Zhurong tient jusque-là. Le rover de 240 kg étudiera l’environnement martien à l’aide de six instruments scientifiques, la plupart développés en héritages des missions Chang’e sur la Lune :
- NaTeCam : deux caméras pour étudier la topographie et la géologie du sol,
- MSCam : caméra multispectrale pour déterminer la composition des roches,
- RoSPR : radar pour sonder le sous-sol jusqu’à 100 m de profondeur,
- RoMAG : magnétomètre,
- MCS : station météo.
- MarSCoDe : spectromètre laser LIBS pour analyser la composition chimique de la surface, directement inspiré des instruments franco-américains ChemCam et Supercam, si bien que les équipes chinoises sont venues à Toulouse à l’Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (IRAP), consulter les équipes françaises, notamment pour la calibration.
Le principal but de la mission Tianwen-1 est d’utiliser la sonde et le rover pour cartographier la présence et la distribution d’eau à la surface de la planète. L’étude pourra compléter celles faites par les autres sondes et rovers depuis le début de l’étude in situ de la planète rouge. Côté chinois, la suite du programme martien s’annonce extrêmement ambitieux avec une mission de retour d’échantillons à partir de 2028-2030. Contrairement à la mission Mars Sample Return de la NASA utilisant plusieurs vols, sondes et rovers (dont Perseverance), la CNSA cherche à réaliser toutes les phases de la mission en une seule fois (collecte, décollage de Mars et retour sur Terre). L’ensemble pourrait être envoyé à l’aide d’une fusée super-lourde Long March 9.

La suite du programme lunaire Chang’e
Cela fait maintenant plusieurs années que la Chine est sur la Lune, cible numéro 1 de son programme d’exploration CLEP. Après deux sondes orbitales en 2007 (Chang’e 1) et en 2010 (Chang’e 2), la CNSA a envoyé plusieurs atterrisseurs : Chang’e 3 en 2013 avec son rover Yutu-1 (le lander est toujours actif) ; et Chang’e 4 en 2019 avec son rover Yutu-2. Cette dernière mission se déroulant sur la face cachée de la Lune, elle nécessite un satellite relais nommé Queqiao, qui se trouve sur le point de Lagrange L2 du système Terre-Lune.
Si Chang’e 3 ne donne des nouvelles que quelques fois par an, sa doublure Chang’e 4 fonctionne toujours depuis plus de deux ans. Le rover a parcouru plus de 700 mètres à la surface entre deux siestes lunaires, bifurquant d’un caillou à analyser à un autre. La mission en cours de prolongation avait surtout fait place à la très complexe Chang’e 5 fin 2020, dédiée au retour d’échantillons lunaires. Durant trois semaines, la mission a rapporté un peu moins de deux kilos d’échantillons, qui sont actuellement en cours d’étude en laboratoire.
La CNSA a réussi le difficile test du Sample return avec Chang’e 5, elle cherche à le renouveler avec la doublure Chang’e 6. Le même scénario est retenu pour cette mission qui se déroulera en 2023-2024 pas loin du pôle sud normalement, mais sur la face cachée. L’atterrisseur de 3.8 tonnes se pose à la surface, collecte les échantillons pendant 48 heures puis les transfère à l’étage de remontée. Celui-ci décolle de la Lune pour rejoindre l’orbiter d’où c’était détaché l’ensemble. Les échantillons sont transférés dans une capsule. Ensuite l’orbiteur repart pour la Terre pour la larguer la capsule, équipée d’un bouclier thermique pour résister à la rentrée atmosphérique. Au cours des opérations à la surface, plusieurs instruments scientifiques seront déployés, dont l’instrument français DORN de l’IRAP, qui analysera le dégazage du radon à la surface.

Après Chang’e 6, le programme d’exploration lunaire continuera logiquement avec les missions Chang’e 7 et 8. La première sera assez ambitieuse et comptera un orbiter, un lander, un rover et même une petite sonde qui pourra voler au-dessus de la surface. La mission se déroulera dans la région du pôle sud lunaire, connue pour contenir de la glace d’eau. La CNSA a prévu d’embarquer pas moins de 23 instruments scientifiques à bord de la mission pour étudier l’environnement et les ressources à la surface. Ce sera la première mission qui préparera l’arrivée – plus tardive – des astronautes sur la Lune, qui sera fera du côté du pôle sud. La mission Chang’e 8 complétera la préparation en réalisant dès 2026-2028 des expériences d’utilisation des ressources in-situ (ISRU). Après cela, ce sera une base lunaire ILRS (International Lunar Research Station), dont le projet est porté en partenariat avec l’agence spatiale russe. Dans le cadre de cette accord lunaire général entre les deux pays, la Chine devrait aussi collaborer au programme d’exploration robotique russe Luna, dont la prochaine mission est prévue fin 2021.

Le retour d’échantillon d’astéroïde avec ZhengHe
Comme le dit l’astrophysicien Sylvestre Maurice, le retour d’échantillon est le ‘’Graal’’ pour le scientifique, car permet d’étudier de la matière non altérée par la rentrée atmosphérique. En revanche, c’est une des missions robotiques les plus complexes à réaliser. La Chine l’a réussi avec la cible la plus simple : la Lune. Maintenant, la CNSA vise plus loin : Mars (déjà vu plus haut) et les astéroïdes.
La Chine a déjà approché une fois un astéroïde. Une fois ça mission autour de la Lune terminée, la sonde Chang’e 2 a été envoyée dans l’espace interplanétaire pour survoler Toutatis. En décembre 2012, la sonde est passé à 3.2 km du petit astéroïde géocroiseur et en a réalisé une dizaine de clichés avec une résolution de 10m par pixel.
A l’instar des missions japonaises Hayabusa ou de l’américaine Osiris-Rex, la CNSA est en train de développer la mission ZhengHe, dans le but de la faire décoller vers 2022. Nommée en hommage à l’explorateur maritime Zheng He, l’objectif de cette ambitieuse mission est multiple : rapporter des échantillons d’astéroïde sur Terre, puis se mettre en orbite autour d’une comète. La Russie s’est d’ailleurs jointe récemment à la mission.
L’astéroïde visé s’appelle 2016H03, ou Kamo’oalewa. Il fait environ 40 mètres de taille et tourne assez vite sur lui-même. C’est un géocroiseur, son orbite autour du Soleil est proche du Soleil, si bien qu’il fait partie de la catégorie des quasi-satellites de la Terre. Pour en connaître l’origine, la CNSA l’a choisi pour cible de la mission ZhengHe. Le but est d’en collecter entre 200 et 1000 grammes d’échantillons.

La mission décollera vers 2024 à bord d’une Long March 3B. L’orbite de 2016H03 étant très proche de l’orbite de la Terre, le voyage ne nécessite pas beaucoup de puissance. La Long March 3B est suffisante et pourra même embarquer des passagers secondaires. La sonde assurera son trajet par propulsion électrique. La sonde devrait se poser à la surface et même s’y visser pour y tenir ! Les échantillons seront stockés dans une capsule pour les protéger de la rentrée atmosphérique. Les échantillons devraient être revenus deux à trois ans après le décollage depuis la Terre. En plus de la collecte, la sonde étudiera l’astéroïde sur place pour tenter de mieux comprendre les caractéristiques et le comportement des petits objets céleste tels que 2016H03. La sonde disposera de plusieurs instruments scientifiques pour dont :
- Caméras avec objectif grand angle et téléobjectif,
- Spectromètres de masse, visible-infrarouge, gamma, infrarouge thermique,
- Radar
- Détecteur de poussière
Comme c’est le cas pour Chang’e 2 et Chang’e 5, la mission ZhengHe sera ensuite prolongée après avoir largué la capsule de retour d’échantillons d’astéroïde sur Terre. La sonde utilisera la Terre comme assistance gravitationnelle pour se catapulter en direction de la comète 133P/Elst-Pizarro, qui se trouve du côté de la ceinture d’astéroïdes principale, au-delà de Mars. La sonde rencontrera la comète vers 2030. Elle se mettra en orbite comme l’avait déjà fait la mission européenne Rosetta autour de la comète Tchouri. La CNSA a fait le choix de remplir les deux objectifs d’étude d’astéroïde et de comète en une seule mission pour l’instant, probablement par souci d’économie car il y a encore plusieurs autres missions en projet.

Se poser sur Callisto
Depuis longtemps, la Chine a manifesté son envie d’aller explorer le système solaire au-delà de Mars. Les idées se précisent et reposent maintenant sur plusieurs succès techniques de Tianwen-1 ou de ZhengHe. Jupiter est la première cible de la CLEP, avec notamment Io dans le viseur. Le design de la mission est toujours en cours de réflexion, avec d’ailleurs le concours de laboratoires à l’international, et notamment des chercheurs français (en partie de l’IRAP). L’objectif scientifique de la mission est de compléter les études faites par les sondes Juno, Europa Clipper, Lucy, ou encore la sonde européenne JUICE.
La mission pour Jupiter s’est maintenant subdivisée en deux sondes qui partiraient en même temps explorer le système jovien à la fin de la décennie, vers 2029. L’ensemble devra d’abord survoler une fois Vénus et deux fois la Terre pour être catapulté suffisamment fort vers Jupiter. Les deux sondes, JCO et JSO, constitueront une mission commune, qui n’a pas encore de nom officiel mais dont un nom candidat serait Gan De, en hommage à l’astronome chinois qui fût un des premiers à étudier Jupiter. En plus des deux sondes, la mission pourrait aussi compter quelques cubesats.

La première sonde, JSO (Jupiter System Observer), aura pour but de survoler la lune Io, la plus proche des quatre grandes lunes de Jupiter. Les quelques survols aideraient à comprendre la relation entre la forte gravité exercée par la planète sur la lune qui en est très proche, et son activité volcanique. Io est probablement l’endroit du système solaire avec le volcanisme le plus actif, avec certains panaches de fumées pouvant l’élever jusqu’à 400 km d’altitude. JSO étudiera aussi la taille, la masse et la composition chimique et isotopique de la lune jovienne ainsi que d’autres lunes dites irrégulières. Une fois sa mission dans le système jovien terminée, JSO sera envoyée au point de Lagrange L1 du système Jupiter-Soleil, un endroit encore jamais exploré, idéal pour étudier le vent solaire en dehors du champ magnétique de Jupiter.
La seconde sonde, JCO (Jupiter Callisto Orbiter), va d’abord survoler plusieurs lunes irrégulières de la planète. Jupiter compte près de 80 lunes, dont certaines qui ne se sont pas formées là mais qui ont plutôt été capturées par la forte gravité de la planète. Elles sont donc des témoins de l’histoire de la formation du système jovien et du système solaire en général. Ensuite, JCO ira se positionner en orbite polaire autour de Callisto, la plus lointaine des grosses lunes. Elle est plus facile à atteindre, et se trouve aussi en dehors du gros du puissant champ magnétique de la planète. Par conséquent, la surface de la lune témoigne elle aussi de l’histoire du système jovien. JCO devrait donc éventuellement y envoyer un lander s’y poser !

Survoler Neptune et quitter le système solaire
Parmi les grands projets d’exploration du système solaire, il y a la mission IHP (Interstellar Heliosphere Probe). Le but est de sortir du système solaire pour partir étudier l’héliosphère, une gigantesque zone engendrée par le vent solaire, ce flux de particules émises par le Soleil. Seules les sondes américaines Voyager 1 et 2 ont pu en sortir, passant à travers l’héliopause, la frontière entre l’héliosphère et le milieu interstellaire. L’héliosphère n’est pas tout à fait une sphère, mais ressemblerait plutôt à la queue d’une comète. La mission IHP partira en 2024 et sera composée de deux sondes, manifestement identiques, IHP 1 et 2.
IHP 1 réalisera plusieurs survols pour se catapulter hors du système solaire : la Terre (deux fois en 2025 et 2027), et Jupiter en 2029. Le but de la CNSA est que IHP 1 atteigne 100 UA (Unité Astronomique), soit 100 fois la distance Terre-Soleil (150 millions de km), en 2049 à l’occasion du centenaire de la fondation de la République Populaire de Chine. A ce moment-là, la sonde se trouvera dans l’héliosphère, bien en dehors du système solaire. Pour comparaison, Voyager 1 se trouve à 152 UA.

IHP 2 va faire elle aussi plusieurs survols avant d’atteindre l’héliosphère : la Terre (deux fois en 2027 et 2032), Jupiter en 2033, mais surtout Neptune en 2038. A l’occasion, IHP 2 pourrait larguer une petite sonde pour plonger dans l’atmosphère de la planète bleue. IHP 2 observerait le plongeon au cours de son survol. Enfin, sur son chemin vers l’héliosphère, la sonde pourrait croiser un objet de la ceinture de Kuiper nommé Quaoar, et sa petite lune Weywot. IHP 2 atteindrait aussi destination en 2049.
L’exploration chinoise du système solaire compte donc plusieurs missions au programme de cette décennie. Il y a également en plus d’autres projets comme l’étude de Vénus ou encore des télescope spatiaux comme ASO-S (Advanced Space-based Solar Observatory), pour observer le Soleil depuis l’orbite héliosynchrone ) à partir de 2022, et bien le ‘’Hubble’’ chinois Xuntian. La CNSA et la CLEP ont du pain sur la planche s’ils souhaitent tenir toutes les dates limites.
Les accomplissements techniques des missions lunaires ont beaucoup servi à la réussite de la mise en orbite de Tianwen-1 et au posé de Zhurong. C’est désormais au tour de Mars de servir de base de progrès pour l’Exploration planétaire chinoise.

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