Quand on nous demande d’où peut-on partir en Europe pour envoyer notre satellite dans l’espace, on pense naturellement à la Guyane, Sinnamary et le CSG. Mais il existe d’autres sites de lancement sur le continent européen. Aucun, jusqu’à aujourd’hui, ne peut héberger un tir orbital mais ça ne saurait tarder !
Dans sa course vers l’espace au siècle dernier, l’Europe a misé sur les colonies ou le réseau du Commonwealth pour accueillir les premiers décollages de lanceurs. Ainsi, c’est depuis Hammaguir, anciennement en Algérie française, et depuis Woomera en Australie, qu’on décollé les célèbres Diamant et Black Arrow faisant la France et le Royaume-Uni des nouvelles puissances spatiales. Puis en fusionnant les efforts spatiaux européens sous l’égide de l’ESA, on décide de désormais que l’unique hub d’accès à l’orbite sera le Centre Spatial de Guyane (CSG).
Le monopole multi-décennal de l’ESA-ArianeGroup-Arianespace fait désormais place à l’arrivée en fanfare du Newspace en Europe. A cette nouvelle concurrence s’ajoute une motivation politique à l’idée que le Newspace pourrait renforcer l’économie spatiale européenne et créer de nouveaux emplois. Pour compléter l’équation (du moins en partie), le spatial britannique suit la politique générale du Brexit dans le but d’être indépendante. Tour d’Europe des projets.
En savoir plus sur les futurs lanceurs du Newspace européens : 2020, tour d’Europe des micro-lanceurs européens.

Sutherland Spaceport :
Localisation : Sutherland, Highlands (Ecosse)
Orbites : polaire, héliosynchrone
Opérateur : non décidé
Lanceur : Prime (Orbex)
Premier vol : 2022
Le projet le plus connu est le hub de Sutherland. Le site prévoit d’accueillir un pas de tir au nord des terres des Highlands en Ecosse. L’océan Atlantique se trouve quelques kilomètres au nord et le pas de tir est au milieu d’une zone très peu habitée. C’est une zone de lancement idéale à la manière du site de lancement Electron à Mahia Peninsula en Nouvelle Zélande. Le projet fait toutefois face à une importante réticence sur son impact environnemental.
Le projet s’astroport, lancé en 2018, prévoyait initialement d’accueillir deux pas de tir. Un premier était pour Lockheed Martin qui devait y exploiter un micro-lanceur, dont on ignore tout. Le second pas de tir était destiné à la start-up britannique Orbex et son micro-lanceur Prime. Finalement, un seul pas de tir a été retenu dans le projet, dans l’espoir qu’il soit partagé.
Le partage s’annonçait compliqué car les lanceurs de Lockheed Martin et d’Orbex ne semble pas fonctionner avec le même carburant. Il est vrai que la recette de Prime est assez unique au monde : le comburant de ses moteurs est du bio-propane (Oxygène liquide en oxydant), du propane mais obtenu de la biomasse, processus plus écologique. Faute d’entente, Lockheed Martin a préféré émigrer vers un autre projet de site de lancement, dans les Iles Shetland. Orbex a de son côté obtenu une première autorisation de réaliser jusqu’à 12 lancements par an. Six sont déjà prévus.
L’astroport de Sutherland a toutefois plusieurs écueils qui retardent sa construction. L’agence de développement Highlands and Islands Enterprise, chargée par le gouvernement d’Ecosse de la gestion du projet, travaille pour obtenir les différentes autorisations, notamment sur l’aspect environnemental. Dernièrement, un recours en justice a été déposé pour faire appel à la validation du Conseil des Highlands. L’astroport, qui devait initialement être opérationnel en 2020 et accueillir le tir inaugural de la Prime en 2022, risque d’être encore retardé. Enfin, beaucoup de gens doutent que l’astroport pourrait apporter avec lui toute une nouvelle économie avec lui.
Le 19 novembre dernier, à la surprise de tous, le premier ministre britannique entend également utiliser l’astroport de Sutherland comme plateforme de lancements de satellites militaires britannique opérée par une nouvelle branche spatiale de la Royal Air Force. Même si le projet reste avant tout commercial, le gouvernement britannique, quête d’indépendance, cherche à ne plus trop passer par l’ESA et le CSG pour lancer ses satellites. L’arrivée d’un site de lancement opérationnel est donc cruciale pour accompagner la nouvelle dynamique.

Shetland Space Centre
Localisation : Lamba Ness, Unst, Iles Shetland (Ecosse)
Orbites : Polaire, héliosynchrone
Opérateur : Royal Air Force (militaire), non connu (commercial)
Lanceur : inconnu (Lockheed Martin dans le cadre du UK Pathfinder Launch), sans nom (C6 Systems)
Premier vol : début décennie 2020
La Royal Air Force est déjà installée dans les Iles Shetland. Ces îles situées entre la Mer du Nord et l’Océan Atlantique offrent un angle de tir assez étendu. La faible présence humaine aux alentours permet aussi des tirs sécurisés. C’est ici que Lockheed Martin a décidé de venir s’installer pour le tir inaugural de leur fusée inconnue. C’est sur une péninsule de Unst, l’île la plus au nord de l’archipel, que seront installés plusieurs pas de tir. En plus de l’Ecosse et de l’UK Space Agency, le projet a reçu le soutien d’un propriétaire milliardaire Ecossais, qui a déjà commencé à y investir. Encore une fois, c’est la Highlands and Islands Enterprise qui est en charge du projet.
On ignore quel lanceur Lockheed Martin souhaite faire décoller de l’astroport britannique. Seules des spéculations laissent penser qu’il pourrait s’agir de l’Electron de RocketLab, ou encore le futur RS1 d’ABL Space Systems car Lockheed Martin a investi dans ces deux sociétés. L’astroport de Shetland devrait accueillir en plus la start-up canadienne C6 Launch Systems, et son futur micro-lanceur. Ce dernier nano-lanceur serait capable d’emporter 30 kg de charge utile à 500km SSO.

Cornwall Spaceport
Localisation : Cornwall (Angleterre)
Orbites : multiples (lancement aéroporté)
Opérateur : Newquay Airport, Virgin Orbit
Lanceur : LauncherOne (Virgin Orbit)
Premier vol : 2022
Le dernier astroport en route existe déjà en mode aéroport. Il s’agit de l’aéroport de Cornwall, au sud de l’Angleterre. Dans les prochaines années, il devrait accueillir Virgin Orbit, la société américaine de Sir Richard Brandson, ami des britanniques. La piste de Cornwall servira aux décollages et atterrissage de l’avion-porteur Cosmic Girl, le Boeing 747 modifié qui largue en l’air le micro-lanceur LauncherOne (regarder ce lien pour tout savoir sur les lanceurs aéroportés). Les premiers vols sont prévus en 2022, mais avant il faut que la LauncherOne s’envole avec succès.
Le projet de commercialisation de l’aéroport régional pour l’accès à l’orbite fait aujourd’hui face à la crise économique du monde de l’aviation liée à la pandémie du Covid-19. La survie de l’aéroport Newquay est d’ores et déjà en jeu. L’aéroport est fermé et compte sur les déplacements pour les fêtes de fin d’année pour un dernier rebond alors que les institutions laissent sur la table l’option de l’abandon. Seul un sauvetage du gouvernement semble pouvoir aider désormais. Sinon, Virgin Orbit pourrait bien devoir chercher ailleurs.

Esrange Space Center
Localisation : Kiruna (Suède)
Orbites : polaire, héliosynchrone
Opérateur : Swedish Space Centre (SSC)
Lanceurs : RFA One (Rocket Factory Augsburg), Spectrum (Isar Aerospace), SL1 (HyImpulse)
Premier vol : 2021 (orbital), opérationnel en non-orbital
Mis en service en 1966, l’Esrange Space Center se trouve à 200 km au-dessus du cercle polaire Arctique. En plein milieu de la taïga scandinave, le site est idéal pour des tests de fusées, des lancements de fusée-sonde, et des lâchers de ballons stratosphériques. Le site est également destiné à l’étude des aurores boréales, et dispose d’un réseau de segment-sol pour la télémétrie/télécommande satellite et lanceur. Mis en service par l’ESRO, l’ancêtre de l’ESA, c’est désormais l’agence spatiale de Suède (SSC) qui en a le contrôle.
Le site a accueilli nombreux programmes de fusée-sonde, et hébergé des centaines de tirs suborbitaux et atmosphériques, dont dernièrement pour le programme MASER et TEXUS. Le site est devenu la destination numéro 1 des sociétés du Newspace allemand des lanceurs. La société bavaroise Rocket Factory Augsburg, spin-off de l’industriel OHB Systems, y teste déjà ses moteurs et prévoit d’y réaliser plusieurs lancements de son lanceur léger RFA One, capable d’emporter jusqu’à 300 kg en orbite basse.
La start-up Isar Aerospace, qui a déjà commencé la production de son lanceur léger Spectrum, d’une capacité d’emport de 1 000 kg en LEO, va tester ses moteurs à Kiruna. Toutefois, l’Esrange Space Centre ne devrait pas héberger le tir inaugural de la Spectrum en 2021. HyImpulse n’a également pas encore fait son choix sur site pour le premier lancement de son micro-lanceur SL1 en 2022 mais, comme les autres, garde l’option Esrange sous la main. Le site servira cependant pour les tests moteurs et le tir du démonstrateur SR75, une fusée-sonde qui testera en conditions réelles l’année prochaine le moteur hybride HyPLOx75. Ce dernier, multiplié par 8, équipera le premier gouvernement étage de la SL1.
L’Esrange Space Centre a réussi à gagner l’intérêt du suédois, qui lui a octroyé 8.5 M€ pour le transformer en site de lancement orbital d’ici 2022. En plus des acteurs allemands, le site reste attractif pour les autres acteurs européens. L’Esrange Space Centre va d’ailleurs accueillir des Hop tests du démonstrateur Themis d’ArianeWorks avant que la campagne se poursuive au CSG. Le SSC a même dernièrement fait une proposition aux acteurs du Newspace indiens de faire décoller leurs micro-lanceurs de Kiruna.

Andoya Space Center
Localisation : Andoya Island (Norvège)
Orbites : polaire, héliosynchrone
Opérateur : Agence spatiale de Norvège
Lanceurs : North Star (Nammo), RFA One (Rocket Factory Augsburg)
Premier vol : 2022
Contemporain de l’Esrange, l’Andoya Space Center a été créé en 1962. Situé à 300 km au-dessus du cercle polaire Arctique, le site propose des activités similaires à l’Esrange Space Centre : tir de fusée-sonde, étude des aurores, et lâcher de ballon stratosphérique. Depuis 1962, plus de 1 300 fusées-sonde ont été tirées, dont notamment la mission AZURE de la NASA. L’Andoya Space Center dispose d’un second site de lancement dans l’archipel Svalbard, encore plus au nord dans l’Océan Arctique. Mais ce site n’est utilisé que pour des tirs suborbitaux ou atmosphériques et il n’y est pas question d’orbital.
C’est d’abord côté norvégien que s’est manifestée l’intention d’atteindre l’orbite depuis l’Andoya Space Center. L’armurier et missilier Nammo, propriété de l’Etat, entretien depuis plusieurs années un programme de développement de fusées. Nammo a d’abord travaillé sur un lanceur suborbital Nucleus, qui a volé avec succès en 2018 depuis Andoya. Ce démonstrateur de lanceur à moteur hybride sert de base solide au développement d’un nano-lanceur orbital capable de placer un cubesat en orbite basse. Ce lanceur devrait décoller de l’Andoya Space Center.
Le client phare du futur complexe de lancement orbital de l’Andoya Space Center est Rocket Factory Augsburg. Ce complexe se situera à 35 km des pas de tirs suborbitaux. RFA a signé un mémorandum d’entente (MOU) avec l’Andoya Space Center pour y réaliser le tir inaugural de sa RFA One en 2022. Depuis, Andoya recrute du personnel pour opérer des lancements orbitaux.

Les autres adresses
Nous avons couvert les principaux projets d’astroport, tous situés dans le nord ou le grand nord du Vieux Continent. Il existe néanmoins encore une pléthore d’autres propositions d’astroports en Europe :
- Açores (Portugal) : ce projet attire un peu plus l’attention que les autres. L’archipel se trouve en plein milieu de l’Atlantique (pas de problème de sécurité), dans une zone avec une météo plutôt favorable et qui permet d’atteindre tout type d’orbite. Avant la crise du Covid-19, le gouvernement portugais se sentait prêt à soutenir financièrement une partie du projet et avait déjà commandé une étude. Cette dernière a conseillé de s’installer sur l’île Santa Maria.
- Canaries (Espagne) : L’archipel est souvent zieuté par les start-ups espagnoles, dont PLDSpace. Cette dernière a besoin d’un pas de tir au bord de l’eau pour pouvoir récupérer en mer le premier étage de son futur micro-lanceur réutilisable Miura 5.
- Espagne : le gouvernement espagnol ainsi que les start-ups réfléchissent à l’établissement d’un site de lancement, notamment sur le continent pour permettre un meilleur accès aux orbites polaires et héliosynchrone. Il y a notamment le site de test d’El Arenosillo, qui servira de théâtre au test du démonstrateur Miura-1 de PLDSpace l’année prochaine.
- Islande : l’état insulaire a déjà servi dernièrement de site de test du démonstrateur atmosphérique Skylark Micro de la start-up écossaise Skyrora. Celle-ci garde l’Islande comme option pour y lancer son futur micro-lanceur Skyrora-XL.
- Plateforme mobile (Allemagne) : le gouvernement allemand étudie la possibilité de construire une plateforme mobile permettant des tirs depuis la Mer du Nord. Dans une interview avec Espace & Exploration, la start-up HyImpulse a affirmé garder cette possibilité en option.
- Plateforme mobile (Danemark) : même si elle ne vise pas l’orbite, l’association danoise Copenhagen Suborbitals travaille au développement d’une fusée capable d’envoyer une personne dans l’espace pendant quelques minutes, baptisée Spica. Plusieurs tirs suborbitaux de modèles antérieurs à la spica ont été réalisés depuis une plateforme mobile dans la Mer Baltique. Option à garder pour Spica ?
- Prestwick spaceport (Glasgow, Ecosse) : projet d’adapter l’aéroport de Glasgow en astroport porté par la société Prestwick Aerospace.
- Italie, Grèce : non spécifié.
Le Centre Spatial de Guyane va lui aussi accueillir le Newspace. Déjà de l’intérieur, le CSG hébergera les tests du démonstrateur Callisto, puis de Themis. Le CNES est déjà en train de transformer l’ancien pas de tir Diamant pour accueillir la campagne Callisto en 2023. Après, le pas de tir pourrait bien accueillir Isar Aerospace, avec qui le CNES a signé un MOU.
